La victoire électorale de Syriza en Grèce va obliger l’Union Européenne à repenser son fonctionnement et son projet. Les années que nous venons de connaître ont vu que l’Euro pouvait résister à une crise financière qui s’est développée sous de multiples formes. C’est un satisfecit pour cette monnaie. En même temps il est devenu flagrant que l’Europe politique, faute d’une intégration politique, sociale et fiscale plus poussée n’est pas à niveau par rapport à la finance mondialisée. Résultat nous sortons lentement de la crise financière, au prix d’une austérité généralisée, plus ou moins forte selon les pays, et cette austérité débouche sur la déflation, la pire des choses en économie.
Cela pose frontalement la question des dettes en Europe. C’est cette question que met sur la table la victoire de Syriza en Grèce. Il y a les facilités. Dire qu’il ne faut pas payer les dettes, ou dire qu’il faut en respecter les engagements et le rythme de manière aveugle. Avec ces deux positions on va vers la désintégration européenne, la fin d’un immense espoir né au lendemain de la guerre. On peut reprocher beaucoup de choses à la construction européenne, et je ne suis pas le dernier à le faire. Mais s’il y a une chose que l’on doit reconnaître c’est que cette construction européenne a favorisé un développement économique et social d’après-guerre qui a profité à tout le monde, et qui a fait de l’Europe une entité qui compte dans un monde qui s’est globalisé. L’Euro est une monnaie qui s’est imposée dans les échanges internationaux.
Mais il manque la traduction politique de cela. Aussi nous en sommes à subir les injonctions d’Angela Merkel qui voit le développement de l’Europe à travers un prisme national qui n’est plus en phase avec ce qu’est de fait l’Europe aujourd’hui, c’est-à-dire un ensemble qui cherche une cohérence et une homogénéité. L’Europe au lieu d’être un ensemble qui se renforce de la complémentarité des pays qui le composent est un lieu de concurrence entre ces pays, dont l’Allemagne et quelques autres tirent profit, au détriment des autres. Aujourd’hui il faut de la solidarité en Europe, il faut de la convergence d’intérêts, il faut un esprit commun.
C’est tout l’enjeu de la période qui s’ouvre. Saurons nous tirer force de nos différences ou allons-nous sombrer dans un chaos généralisé qui dissoudra toute velléité d’intégration européenne dans un magma nationaliste et populiste qui fera de la majorité des pays européens des pays asservis soit à l’ensemble dollar, soit à l’ensemble yuan, soit encore à l’ensemble rouble qu’on voit s’agiter à l’est. Car c’est bien là qu’est l’enjeu profond de ce qui se passe actuellement. On voit bien les affinités politiques très fortes des populistes de droite et de gauche vers la Russie. On voit l’attirance des nostalgiques de la droite traditionnelle vers un néo-libéralisme qui nous mettrait à la merci des USA. Et il y a tous les autres qui sont prêts à se vendre au plus offrant, celui qui assurera une économie stabilisée, même si c’est au prix d’un régime autoritaire, pour ne pas dire plus, au prix de la liberté individuelle et collective donc. Nous sommes sortis d’une telle séquence, pitié ne laissons pas à nos enfants cette perspective !
C’est toujours dans les crises que l’Europe a su réagir, se construire. Au-delà des impatiences et des scepticismes. C’est toujours dans la souffrance que les idées de rassemblement l’ont emporté sur les idées de repliement. Mais cela ne se fait pas tout seul. Il faut une volonté, il faut des hommes qui représentent cette aspiration à plus d’Europe. Les premiers contacts entre Tsipras et la Troïka ne sont pas très encourageants de ce point de vue. Espérons que la tournée européenne que va entreprendre ces prochains jours Alexis Tsipras ouvrira d’autres perspectives avec un homme qui, contrairement à ce que disent beaucoup de responsables politiques ici et ailleurs, n’est pas un partisan de la remise en cause de l’Euro et du projet européen.
Le peuple Grec demande plus de solidarité, l’étalement de la dette pour favoriser une relance économique et aller vers la croissance. Des choses que nous réclamons depuis l’élection de François Hollande. Emmanuel Todd, Jean Luc Mélenchon, Marine Le Pen et beaucoup d’autres se réjouissent d’une perspective de démantèlement de l’Euro et de l’Europe, moi je pense au contraire que c’est un signe annonciateur d’années sombres pour nos pays européens. Le gouvernement Français a préféré obtenir par des négociations discrètes de jouer avec le temps pour relancer la croissance sans renier la parole. Les marchés approuvent cette manière de faire, la preuve en est dans le bas niveau des taux d’emprunt.
Le peuple Grec a préféré taper sur la table, mais il est vrai qu’il connait une austérité depuis des années qui n’a rien à voir avec celle que nous pouvons connaître ici. Deux méthodes, une même réalité, il faut actualiser le traité de Maastricht à la lumière de réalités nouvelles, il faut reprendre la réflexion sur le Traité constitutionnel qui manque tant aujourd’hui pour faire avancer une Europe plus intégrée, favoriser l’harmonisation fiscale et réduire la concurrence économique entre les pays européens. Le Traité de Lisbonne, avorton du Traité constitutionnel a cassé la dynamique politique qu’ouvrait le Traité constitutionnel et a favorisé la mainmise de la finance mondiale et des théories néo-libérales sur nos économies.
Nous devons nous ressaisir. L’Europe n’est pas le problème, c’est la solution. Gardons-nous d’Angela Merkel, gardons-nous des populistes de tous bords, et retrouvons l’esprit des pères fondateurs de l’Europe.